Si j’étais Président(2)
Me voilà donc président du plus grand pays d’Afrique. Je viens de terminer un tour d’Algérie placé sous le signe de l’histoire et de la fidélité. Mais je ne peux terminer ces «voyages de la mémoire» sans la reconnaissance du rôle inestimable joué par les Patriotes qui ont sauvé la République au cours de la décennie 1990. Une réconciliation nationale sans justice et, surtout, qui met les protagonistes sur un pied d’égalité resterait fragile et peut être balayée par n’importe quel souffle ; et Dieu seul sait que les tempêtes peuvent souffler fort sur l’Algérie. Notre pays n’a pas connu une guerre civile qui aurait mis face à face deux tribus ou deux pans de la population divisés idéologiquement. L’épreuve de sang imposée à notre peuple fait suite à la tentative des milieux obscurantistes liés au terrorisme islamiste international de prendre le pouvoir pour imposer un régime à la Taliban. Les élites du peuple ne se sont pas levées pour défendre un territoire contre un envahisseur étranger ou une partie de la population en armes ; elles se sont senties concernées par le combat pour la survie de la République. A ce titre, 1990 est en droite ligne de la lutte révolutionnaire du peuple algérien pour son indépendance. Elle en a les contours et les objectifs : utiliser la violence pour contrer des projets qui, au mieux, auraient fait de notre pays la province d’un nouveau khalifa dirigé par des forces étrangères ; au pire, nous auraient enfoncés dans la violence et l’anarchie. Il est inadmissible que l’on gomme tant d’héroïsme et de sacrifices pour les besoins d’une réconciliation qui est aujourd’hui rejetée par l’immense majorité du peuple algérien qui voit d’anciens terroristes à la tête d’affaires florissantes, à coups de milliards, alors que les gardes communaux, chassés de leur travail, vivent une situation intenable. Mais entendons-nous bien : Il ne s’agit pas de revenir sur la loi de la concorde, ni de refuser le pardon de la nation à ceux qui reconnaissent leurs forfaits. Non ! Il s’agit surtout de faire la différence entre les vraies victimes du terrorisme islamiste et ceux qui, parce qu’ils sont apparentés avec les terroristes et qu’ils n’ont rien à se reprocher, doivent bénéficier de l’aide de l’Etat, comme tout citoyen dans leur condition d’ailleurs. Il n’y aura plus d’amalgame et je n’utiliserai jamais le terme de «tragédie nationale». Je placerai la décennie 1990 sous le signe de l’héroïsme du peuple algérien, convoqué une seconde fois par l’Histoire pour donner au monde les plus belles pages de la bravoure. Je ferai tout pour que l’école et la culture glorifient ces moments forts dont chaque Algérien doit être fier. Des films, des pièces de théâtre, des colloques, des cérémonies seront organisés partout pour rappeler au peuple algérien ces martyrs tombés sous les balles de ceux que l’on veut, coûte que coûte, considérer comme des «frères» ! Des cimetières pour les nouveaux martyrs seront créés à côté des anciens : tous se sont sacrifiés pour que nous puissions vivre heureux ! Il est honteux que des soldats soient enterrés dans l’anonymat total. Je compte des parents dont les corps sont arrivés à la tombée de la nuit et qui ont été acheminés aussitôt vers le cimetière, escortés par la gendarmerie. Au début, on tirait une salve d’honneur et les walis, voire parfois les ministres, assistaient aux obsèques de ces héros ; mais, depuis la réconciliation, on les enterre à la sauvette, comme pour ne pas froisser leurs… assassins ! J’appellerai cette période «seconde révolution algérienne ». Oui, ce fut une révolution dont on veut camoufler les hauts faits, la signification profonde et les résultats au-dessus de tout espoir qu’elle a engrangés, résultats qui furent très vite détournés par une politique ambiguë dont apparaissent peu à peu les véritables objectifs : gommer la victoire des Patriotes, faire reculer les idées de progrès, de justice et de démocratie que cette lutte portait en son sein, réhabiliter l’intégrisme, agir pour que les idées de citoyenneté régressent… En direction des familles victimes du terrorisme et trahies parfois par leurs organisations, je ferai de grands gestes : l’Etat leur donnera autant qu’il donne aux familles des premiers martyrs et les Patriotes en retraite ainsi que les blessés recevront autant que les moudjahidine. Partout, ils seront glorifiés et honorés. Des médailles leur seront remises et ils auront la gratuité dans le transport. La nation — qui doit leur être reconnaissante éternellement — ne fera jamais assez pour leur dire merci d’avoir protégé les populations, merci d’avoir veillé au fonctionnement des infrastructures et des usines qui nous donnaient de l’électricité, du gaz, de l’eau, du lait, etc., merci d’avoir maintenu l’école ouverte, merci à l’enseignante de ne pas avoir cédé, merci au conducteur de locomotive d’avoir fait marcher les trains… Et, par-dessus tout, merci à l’armée d’avoir détruit les projets sinistres de l’intégrisme, lutte qui sera couronnée en 1998 lorsque le danger d’une prise de l’Etat par les émules d’Al- Qaïda avait totalement disparu, lorsque le général élu Liamine Zéroual s’était retiré, pensant que sa mission s’achevait. Merci aux gendarmes et aux policiers dont beaucoup ne sont plus parmi nous et qui ont étonné le monde par l’efficacité de leur action, leur organisation et leur discipline. Le peuple algérien a lutté seul contre le terrorisme islamiste. Il a eu ses héros et ses traîtres. Je dirai avec franchise au monde : «Vous nous avez lâchés ! Vous avez parié sur la victoire des ennemis de la démocratie ! Pour vous, la vie algérienne n’a aucune valeur : vous vous êtes tus lorsque l’Algérie annonçait 200 000 morts, victimes du terrorisme. Mais lorsque ce même terrorisme, manipulé par les véritables commanditaires des attentats du 11 septembre, s’en est pris aux vies américaines, vous avez subitement réagi et identifié ce terrorisme que vous avez toujours refusé de voir en Algérie.» Je rappellerai à la France son rôle néfaste sous la houlette du président défunt Mitterrand et ses compères socialistes. Je remercierai tous les amis français qui avaient compris les véritables enjeux et je dirai des mots de reconnaissance à M. Charles Pasqua et à tous ceux qui ne voulaient pas abandonner l’Algérie au moment où elle avait le plus besoin d’aide, et surtout, de compréhension, venant de l’étranger. A l’opinion maghrébine, je dirai le rôle hostile joué par le Maroc dont le territoire servait à l’acheminement des armes. Je lancerai une enquête des services secrets pour démontrer que cette hostilité a même pris les formes d’une aide directe au terrorisme. Ils se pencheront sur les séjours de Ben Laden à Casablanca et son implication dans le renforcement du terrorisme en Algérie. Par ailleurs, plusieurs témoignages ayant permis d’identifier des ressortissants marocains parmi les terroristes ayant participé à des massacres — exemple : Béni Messous —, ils sera demandé aux mêmes services de répondre à la question de savoir si oui ou non l’Etat marocain ou ses structures ont aidé ces sanguinaires à s’introduire chez nous. Par contre, je remercierai la Tunisie d’avoir, non seulement aidé à contenir le terrorisme, mais accueilli des millions d’Algériens refoulés par les visas qu’on leur imposait partout, y compris au Maroc ! C’est dans les moments durs qu’on reconnaît ses amis ! Une fois rétablies les vérités historiques, nous pourrons nous lancer dans le grand projet de mon mandat : construire le Maghreb des peuples.
Par Maâmar FARAH.
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