mardi 29 octobre 2013

Si j’étais président(3)


Ce que je trouve captivant dans le métier de chroniqueur est cette fenêtre ouverte sur l’imaginaire et les idées les plus folles qui en germent ! Je rentre dans les habits d’un illustre personnage et vous me lisez jusqu’au bout ! Vous ne dites pas : «Ce bonhomme est fou ! » Et vous en ferez de même si, demain, je me prends pour le secrétaire général de la daïra d’Aflou ou pour un garde forestier exerçant dans l’Ouarsenis ! Et c’est cela la grande magie de notre métier : il m’est arrivé de déjeuner dans un palais royal scintillant et de me retrouver, une semaine plus tard, dans un gourbi glacial gonflé par les vents de la steppe ! On en sort avec une philosophie qui relativise tout : au bout d’un parcours de quarante-trois ans, et après avoir tourné dans tous les coins et recoins de ce pays et aussi au bout du monde, après avoir rencontré tant de gens de conditions, de cultures et de races différentes, je vois les hommes tels qu’ils sont ! Leurs titres ne m’impressionnent pas. Les hommes n’ont de valeur que par leurs actes et toutes les richesses et la puissance dont ils peuvent s’entourer ne peuvent cacher leurs tares ! L’Histoire ne pardonne jamais à ceux qui, profitant de leur poste et de ses privilèges, ne pensent qu’à s’en mettre plein les poches, allant jusqu’à déclencher des guerres inutiles mais terriblement meurtrières. Je suis président et je dois maintenant m’atteler à reconstruire des valeurs qui ont été détruites, afin que le peuple algérien se sente enfin fier de vivre dans son pays, qu’il soit protégé de tous les abus et de tous les dangers, qu’il travaille dans la quiétude pour bâtir la richesse nationale qui remplacera les rentrées en devises basées sur la seule exportation des hydrocarbures, qu’il puisse vivre dans des villes propres et bien structurées, qu’il puisse également être en paix dans les villages et les campagnes, qu’il bénéficie de toutes les infrastructures nécessaires à son bonheur, qu’il trouve également, partout, les moyens de s’épanouir culturellement, de se reposer et de s’adonner aux loisirs multiples que peuvent lui donner les centaines de parcs que je compte lancer. Mais, avant de détailler mon programme, il est utile de tracer les contours politiques et institutionnels de cette Algérie nouvelle qui doit être celle de la «révolution par et pour le peuple». Il est aberrant de constater qu’après 51 années d’indépendance, nous nous sommes beaucoup éloignés des principes qui ont guidé la révolution fondatrice de l’Etat moderne algérien. Une nouvelle caste de dirigeants civils et militaires, vivant dans un luxe qui est une insulte à la misère que je vois partout, s’est arrogée tous les droits. Elle utilise le pouvoir pour s’enrichir, passant de l’acquisition de moyens matériels énormes en Algérie à l’achat de biens de très grande valeur à l’étranger. Ce n’est pas toujours le fruit de l’effort personnel et du travail honnête : beaucoup de ces richesses ont été acquises par le truchement des influences, de la pression et de la corruption. De nouvelles familles «royales» et «princières » sont apparues, s’accaparant l’Etat et ses moyens diplomatiques pour en faire une propriété privée. Tout cela cessera ! L’Etat sera au service exclusif du peuple. L’une des tâches essentielles de ce début de mandat sera d’ancrer de nouvelles traditions démocratiques dans les moeurs politiques algériennes. La Constitution sera révisée et le peuple algérien sera appelé à se prononcer sur les changements que je compte introduire dans la loi fondamentale. D’abord, nous devons retourner à la limitation des mandats présidentiels : deux, pas plus ! L’un des plus grands dangers qui menace la démocratie est le pouvoir personnel. En obligeant le chef de l’Etat – qui bénéficie de responsabilités énormes dans l’actuelle Constitution – à quitter la plus haute hiérarchie du pouvoir après deux mandats, nous nous prémunirons contre ces dérives et empêcherons l’émergence d’une royauté avec sa cour et ses pratiques d’un autre âge. Grâce à l’alternance, nous nous assurerons un renouvellement des instances dirigeantes car il est périlleux que le même personnel politique reste aux commandes durant vingt ou trente ans. Les élections permettront au peuple de choisir librement ses dirigeants à tous les niveaux. Outre la limitation des mandats, cette révision constitutionnelle devra trancher une question fondamentale : voulons- nous d’un régime présidentiel ou d’un système politique basé sur le règne des partis et des coalitions ? Chacun des deux systèmes présente des avantages et des inconvénients, mais pour une révolution qui, dès son déclenchement, a banni le culte de la personnalité et inscrit en lettres d’or le mot d’ordre : «un seul héros, le peuple !», il me semble nécessaire et indispensable d’aller vers un régime parlementaire, le seul en mesure de barrer la route aux rêves hégémoniques des «leaders respectés et bien aimés». L’ère des hommes providentiels est révolue : le magistrat suprême doit s’imposer par sa sagesse et son dévouement à défendre les causes nationales et à s’élever contre tous les abus et les atteintes à l’éthique. Il sera au-dessus de la mêlée et aura un rôle beaucoup plus moral que politique. En animant la vie de la nation d’une manière autonome et réservée, il sera ce président que l’on respecte et écoute parce que, venant d’un parti, il saura transcender les divisions politiques et s’imposer comme l’homme qui symbolise une nation et non une tendance idéologique ! Ceci ne l’empêchera pas, bien entendu, de dire ce qu’il pense lorsque des excès touchant aux libertés individuelles et à la sécurité nationale auront lieu, y compris par son propre parti. C’est au chef du gouvernement qu’il appartiendra de guider la politique économique, sociale et culturelle durant la législature où son parti – ou coalition- est majoritaire. La Constitution fixera les limites de cette action afin que les extrémistes qui peuvent profiter du système démocratique ne soient plus tentés par la prise du pouvoir. A ce titre, il est utile de préciser certains points qui prêtent souvent à confusion. Concernant la laïcité, je me suis toujours trouvé en contradiction avec la majorité des démocrates et des républicains qui pensent qu’elle serait une bonne chose pour la République algérienne. Ils ont leurs arguments. Quant à moi, je pense que nous ne pouvons pas aller vers une laïcité qui pourrait comporter des pièges contre lesquels les grandes démocraties sont prémunies. Mais pas nous ! L’Islam n’est pas, chez nous, une simple pratique religieuse dont l’encadrement et le contrôle pourraient être confiés à une association exerçant comme n’importe quelle organisation sociale. La laïcité n’est pas la bonne solution car elle donnerait la possibilité à ces associations de prendre le contrôle de la croyance des gens, avec toutes les déviations possibles et nous en connaissons un bout en Algérie. L’Islam fait partie des valeurs fondamentales de notre civilisation, au même titre que la berbérité et l’arabité. Ce sont les trois composantes du socle sur lequel sont bâties les valeurs communes au peuple algérien, valeurs renforcées par des principes révolutionnaires contenus dans la déclaration du 1er Novembre que nous considérons comme le premier acte fondateur de la nouvelle nation algérienne née en 1962. En outre, la laïcité apparaît comme un système idéal dans des pays qui comptent plusieurs communautés religieuses et où l’Etat doit rester neutre afin de ne pas privilégier telle ou telle religion et se créer des problèmes qui pourraient menacer l’équilibre des institutions. Par contre, chez nous, l’Islam est la religion de l’immense majorité du peuple algérien. Je ne vois aucun problème à ce qu’il reste religion d’un Etat qui a les moyens d’éviter toutes les dérives pour peu qu’il ne cherche pas à l’exploiter dans le but de servir le pouvoir. Car nous avons toujours vécu des situations où l’on a mobilisé la religion dans un but politique. A ce titre, tous les partis religieux seront interdits ! Il n’est pas normal que dans un pays musulman, des tendances politiques exploitent ce qui est considéré comme un bien commun : la religion. En faisant de la politique, on s’essaye quotidiennement à la tricherie et au mensonge, sinon ce ne serait plus de la politique ! Il est donc impérieux de protéger la religion de ces pratiques et de la laisser au-dessus de la mêlée. On ne met pas le Grand et Immatériel nom d’Allah dans une urne ballottée par les vents contraires de la convoitise humaine…
Par Maâmar FARAH

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