samedi 14 décembre 2013

Comment expliquer l'Algérie aux Autrichiens ? Par Kamel Daoud

Difficile d'expliquer l'Algérie au Viennois. Et au reste du monde. Au gens de Mars. Le pays est complexe, a une histoire qui ressemble à celle du viol et de l'après-viol, trompe l'œil par sa proximité et donne l'illusion de fonctionner selon deux modes : le maquis clandestin et le décor. Le corps et le décor, dirait-on. Ce que l'on voit n'est pas ce qui décide et ce qui se meut n'est pas ce qui vous côtoie. 

A cela s'ajoute l'émotion : aucun Algérien ne peut parler de l'Algérie sans deux grandes émotions : la colère ou la déception. Cela rend myope la lucidité et empêche la paix dans le propos. Nous sommes les enfants d'un amour malheureux. On n'arrive pas à aimer ce pays ni à le détester, à l'expliquer au reste du monde ou à le quitter ou à y arriver. Et ce n'est pas de la poésie ou des clichés. Quand ils parlent de leur pays, les Algériens de Vienne ou de la Terre de Feu, en parlent comme après un divorce non consommé. Dans une sorte de travail de deuil sans fin. Lettres déchirés, photos froissées, hymne renvoyé à l'envoyeur et terribles étalages de linges sales ou passions mortes et d'anecdotes sur les mauvais départs. Toute relation de l'Algérien à l'Algérie est une scène de ménage. Partout où il va, l'habitant de notre planète n'échappe pas au monologue qui lui fait comparaitre chaque centimètre carré du monde à chaque centimètre carré de son pays. Et le pire est dans l'histoire : chacun a un exemplaire personnel et unique de la biographie de tous. Tout commence par une anecdote personnelle qui explique la terre, la mer et l'échec et l'envie de partir ou de s'enfermer ou de ne rien dire ou de tout recommencer. Et ce procès sévère, dur et sans appel étonne beaucoup d'étrangers qui ne comprennent pas notre réquisitoire sans fin, enfant gâté de notre amour déçu.

Histoire complexe, terre mal partagée et émotions. A la fin vous regardez l'étranger, vous essayez de choisir les bons morts qui vous tournent le dos, vous songez à des dates, vous penchez vers l'anecdote ou la récitation, et vous n'arrivez pas à Dire. Seulement à gesticuler. A insulter ou à glorifier.

Comment expliquer l'Algérie à Vienne ? Laquelle d'ailleurs ? Elle change tout le temps, s'efface, s'impose, recommence ailleurs, parfois sans nous, contre nous, puis revient, se déploie, obsède puis se rétrécit, disparaît derrière l'ailleurs…etc. Le chroniqueur avait écouté les fondateurs de l'association d'amitié algéro-autrichienne, porteurs de valises pour le FLN de la guerre, engagés pour notre liberté, anciens ministres de ce pays ou nouveaux sympathisants et qui célébraient un passé propre et sain. Une belle histoire, mais celle d'un pays qui m'est déjà inconnu. Aujourd'hui, le pays est autre. Inexplicable, mais inévitable. Difficile à raconter, sauf au jour le jour. 

Par Kamel Daoud

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