Un facebookiste algérien a bien résumé la semaine politique : un Général en costume civil, avec un Président en robe de chambre et un premier ministre qui sert des gâteaux, le tout à Paris, dans un endroit qui s’appelle les Invalides. Que voulez-vous de plus comme humour et drame ?
Le film muet de Bouteflika vivant mais très malade reste l’événement de la semaine. Certains ont acclamé la réapparition comme une résurrection ou une « victoire cinglante » contre les détracteurs (propagande post-stalinienne encore en vogue), d’autres y ont constaté l’essentiel : l’homme est tellement malade qu’il ne peut même pas soulever un bras, de là à soulever un pays ! Les premiers crient déjà à la possibilité d’un 4ème mandat qu’ils voient comme naturel, gagné d’avance et qui s’impose de lui-même selon eux. Les seconds voient où en est arrivé l’état de l’Etat : un bulletin de santé, des rumeurs, des démentis, des menaces sur des journaux, des hallalis et des affaires de familles. Rien n’est fait pour assurer une succession sans chaos, ni une transition sans retomber dans la question 62 de la légitimité.
Sauf que tout cela a été dit et redit. On n’épuise plus la question, c’est elle qui nous épuise. Le neuf ? L’essentiel : dans le message subliminal de ces images d’un Président malade qui se soigne à l’étranger, en France, à Paris, aux Invalides. On ne peut pas ne pas songer à la rime désormais impossible de la « demande d’excuses à la France », au dopage à l’hyper nationalisme anti-France et à la question de l’histoire et de la mémoire. On nous a arrosé d’hymnes et de souvenirs de bravoure et d’avions français abattus avec la volonté et les yeux, on nous a élevé dans le culte de la décolonisation et celui de la guerre pour enfin nous poser un lapin et courir se soigner en France. Pour les jeunes algériens, le message implicite est clair : les gens « d’en haut » ne font pas confiance à ce pays ni pour leurs argent, économies, enfants et encore moins pour leur santé. Ceux qui demandent aux Algériens de rester en Algérie sont ceux qui se soignent en France, en Belgique, en Suisse et en Espagne.
On n’a pas encore pesé le sens de ce geste et de cette hospitalisation sur les imaginaires et les ordres symboliques de ce pays. On le fera doucement et on comprendra le tragique : la génération de novembre, celle qui nous a gouverné par la légitimité de la guerre ne croit plus en ce pays, ses banques, ses institutions et ses hôpitaux. Aveux d’échec à l’échelle de la nature et du slogan du « sauve qui peut ». Ceux qui ont habillé Bouteflika pour cette séance et qui le poussent à croire à son propre messie pour sauver ce pays et à son « destin acclamé » par des « millions » ne se préoccupent pas des effets secondaires de ce film muet : il ne s’agit pas de montrer que ce pays va bien mais de montrer que Bouteflika est vivant et que le repas continu et que le système actuel « n’est pas tombé ».
Et du coup cela fait mal : les images de cet homme otage des siens ou de ses ambitions profondes, le pays otage de ces gens-là et nous au bout de cette chaîne alimentaire. Après la légitimité par la décolonisation, le film muet de Bouteflika vient de consacrer la légitimité de la fuite et du salut par la voie des mers. Dans leurs pays éparpillés, les harragas doivent être soulagés : la solution de la chaloupe a désormais l’appui de la voix muette d’un Président.
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